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Huu Chuong Nguyen : "Connaissez vos limites pour réaliser votre plein potentiel"
Nom : NGUYEN
Prénom : Huu Chuong
Formation ULB : Master en Sciences Physiques, Doctorat en Physique, Master en nanotechnologie, certificat en médecine translationnelle.
Années de formation : 2005-2010, 2011-2015, 2016-2017
Fonction actuelle : Attaché - Data Scientist au Service Public Régional de Bruxelles
- Quel rêve de « carrière » aviez-vous lorsque vous avez choisi vos études?
Je n'avais absolument aucune ambition de carrière lorsque j'ai choisi de poursuivre des études en physique. J'ai toujours eu des soucis pour comprendre tout ce qui était lié aux relations sociales. Mes profs en secondaire m'avaient dit que je n'arriverais à rien dans la vie. J'ai toujours préféré contempler les étoiles plutôt que de me mêler à des discussions mondaines. Ma famille voulait que je devienne ingénieur, comme tous mes cousins, mais cela ne m'intéressait pas du tout. J'ai suivi les cours de prépa et réussi l'examen d'entrée en me classant parmi les 10 premiers pour prouver que j'en étais capable, puis je me suis inscrit à la Faculté des Sciences, en physique, pensant (à tort) qu'il n'y aurait pas beaucoup de monde et que j'y serais tranquille. Je supposais qu'après les études, viendrait un doctorat et qu'après le doctorat, la recherche et puis peut-être devenir professeur à l'Université. Je n'avais aucune idée de toutes les possibilités de carrière qu'offrait un diplôme en physique.
- Quel parcours avez-vous réalisé finalement ?
J'ai eu un parcours assez chaotique. Je ne me suis pas spécialisé en astronomie ou physique des particules comme je le pensais au début de mon bachelier, mais en physique statistique. C'était aussi à l'époque de la transition du système des licenses aux masters. Ayant terminé les 4 ans à l'ULB, il me fallait une année supplémentaire que j'ai choisi de faire chez les ingénieurs de l'UCL. Pour terminer mon master, j'ai réalisé un projet de fin d'étude très appliqué sur la mise en orbite de satellites chez les ingénieurs de l'UCL et un mémoire purement théorique chez les physiciens de l'ULB sur les marches aléatoires dans des espaces hypercubiques à n-dimension pour modéliser les systèmes de billards chaotiques.
Je me souviens encore des commentaires de mon jury durant la défense de mon mémoire : "Ce que tu as fait est très bien, mais c'est juste de la masturbation mentale".
Ce qui était techniquement exact, vu que je n'avais à l'époque trouvé aucune application à mon mémoire.
J'ai voulu ensuite me lancer dans un doctorat ayant des applications plus pratiques et j'ai eu la chance de croiser par hasard un professeur en nanophysique qui cherchait justement un doctorant intéressé par les nanotransistors. J'ai aussi eu la chance d'avoir 2 promoteurs de thèse. Un russe à l'ULB et un allemand au King's College London en Angleterre, ce qui m'a permis de voyager et d'acquérir une expérience internationale. Cependant, je n'ai jamais obtenu de financement du FRIA ou du FNRS.
Les aléas de la vie ont finalement fait que mon promoteur russe de l'ULB a trouvé un poste permanent en Australie et mon promoteur allemand a trouvé un poste permanent en Allemagne. J’ai donc eu le choix de terminer mon doctorat soit en Australie soit en Allemagne. J'ai finalement choisi l'Allemagne pour poursuivre mon doctorat où je n'ai eu aucun souci à obtenir des financements pour mes recherches, alors que le FRIA et le FNRS trouvaient mon projet de recherche trop ambitieux.
Durant la dernière année de mon doctorat, j'avais été contacté par un ami qui m'avait envoyé une annonce chelou : "Tu veux un job cool et gagner plein d’argent ? alors envoies-moi ton CV et rdv à ce restaurant à cette date". Je pensais à une blague mais je lui ai envoyé mon CV pour jouer le jeu. Le jour du rendez-vous, quelqu’un que je ne connaissais pas m’attendait pour me poser un tas de questions comme pour un entretien d'embauche. Je continuais de penser à une plaisanterie. Je me souviens avoir chanté l'hymne national belge dans nos 3 langues nationales pour prouver que je savais parler français, néerlandais et allemand. J'ai bien ri et bien mangé avec ce charmant monsieur et l’ai quitté après le repas.
Encore confus de ne pas avoir vu mon pote, je l'ai appelé pour lui demander pourquoi il m'avait invité au resto mais n'était pas venu. Je fus évidemment surpris lorsqu’il me confirma que j’avais rencontré le CEO d’une boîte (ami d’un de ses collègues) et que j’avais réellement passé un entretien d’embauche.
J'ai encore été plus surpris le lendemain quand j'ai reçu un contrat pour un CDI très bien payé (plus de 5.000€ par mois avec primes, stock options et autres avantages). Je n’en revenais toujours pas et en rappelant mon ami, il m’a confirmé que j’avais apparemment réussi à convaincre le CEO grâce à mon entretien et ma confiance lors de l'interview.
En lisant le contrat, je me suis rendu compte que c'était un contrat américain, sans vraiment de protection sociale : licenciement du jour au lendemain, pas de jours de congés, pas de définition sur le nombre d'heure de travail maximal, ...
Étant donné que mes parents avaient encore pas mal de dettes et qu'il fallait encore payer les études de mes frères et sœurs, j'ai accepté le job en négociant fermement pour obtenir au moins un contrat belge pour la sécurité sociale et pour n'avoir qu'un 4/5 le temps que je termine mon doctorat.
Honnêtement, en combinant mon doctorat et le job en même temps, tout allait bien, j'avais un bon équilibre mental, j'apprenais beaucoup et je pouvais séparer ma vie privée de ma vie professionnelle. Les choses ont commencé à se détériorer une fois que j'ai obtenu mon doctorat avec grande distinction, car j'ai alors commencé à travailler à temps plein et à m'immerger complètement dans le monde de la finance. Un monde totalement amoral où le seul mot d'ordre est le profit. Petit à petit, mais assez rapidement, on m'a confié de plus en plus de missions et de responsabilités. J'ai vu des choses qui moralement me posaient questions. Par exemple, élaborer un plan de restructuration qui entraînerait le licenciement de 20 000 employés. Quand j'ai discuté de cela à mon chef, "si on applique ce plan, c'est juste licencier 20 000 personnes qui arrivera, mais 20 000 familles dans la rue !", sa réponse a été cinglante "Fait comme tout le monde, n'y pense pas ou prend de la coke".
Plus les jours passaient plus je me sentais mal dans ma tête. Ce que je faisais me dégoutait jusqu'à me sentir souillé au plus profond de mon âme. Je ne me sentais pas bien non plus physiquement. Le fait de voyager non-stop et travailler de 9h du matin jusqu'à 23h du lundi au dimanche renforçait mon mal-être. La séparation entre vie privée et vie professionnelle disparu complètement lorsque je dû vivre en coloc avec mon chef pour une mission à Munich. En consultant un médecin, il m’a diagnostiqué un burn-out et m’a prescrit un congé maladie heureusement compatible avec mon contrat belge.
Une fois les dettes de mes parents payées et après avoir mis de côté pour payer les études de mes frères et sœurs, j’ai démissionné. Je ne voyais pas l'intérêt de m'imposer ce calvaire une seconde de plus. En recroisant mon ami, il m’a confirmé que j’avais meilleure mine et que j’étais plus souriant après avoir démissionné. Ce n'était plus arrivé depuis des mois !
Étant sans emploi, mais ayant accumulé beaucoup d'argent que je considérais comme sale car je me sentais encore souillé d'avoir vendu mon âme à la finance, je me suis lancé dans le bénévolat. J’ai travaillé dans un hôpital, j’ai participé à la construction d'écoles et de sanitaires dans des régions reculées au Vietnam. Cela m'a fait beaucoup de bien de pouvoir me sentir utile et de pouvoir aider réellement. Cette expérience m’a conduit à décider de n'accepter à l'avenir que des jobs ayant un impact positif sur le monde. Elle m'a permis également de redéfinir mes valeurs et mes priorités.J'ai adopté la vieille devise "Foi et devoir, courage et honneur" qu'on m'avait enseigné en étant petit, mais en comprenant bien chaque mot.
La foi, n'est ni une question de religion, ni contraire au libre examen. Tout le monde doit vivre avec des croyances et des convictions qui ne sont pas toujours vérifiables, que l'on en ait conscience ou non, qu'on le veuille ou pas. Moi, j'ai décidé d'avoir foi en l'humanité, malgré constats décourageants, j'ai pu être témoin de la bonté humaine et j'ai décidé de vouloir continuer à y croire.
Le devoir, c'est assumer de vivre en société, être responsable de ses actes, mais aussi de leurs conséquences sur moi, les gens qui m'entourent, les générations futures et l'environnement. Nous n’y pouvons rien si nous sommes né dans un monde qui va mal mais il ne faut pas que cela empire.
Le courage, c'est ne pas se décourager devant l'adversité, c’est surpasser ses craintes et persévérer car la vie n'est ni facile ni simple.
Et enfin, le concept de l'honneur est assez particulier. On m'a enseigné qu'il s'agit de rendre à la vie toujours plus que ce que l'on a reçu. Pour moi, cela signifie répondre à tout acte de bonté avec bien plus de générosité, mais aussi punir tout acte malveillant avec toute la force et la fureur qu'il mérite afin qu'il ne se reproduise pas.
J'ai repris par la suite des études avec un master complémentaire en nanotechnologie pour la médecine en obtenant au passage une certification en médecine translationnelle et en faisant un peu de recherche pour le diagnostic du cancer et le développement de médicaments.
J’ai poursuivi mon expérience avec 5 ans dans un projet de la commission Européenne pour le recyclage du CO2 en carburant. Durant ces années, j'ai aussi obtenu en parallèle, le prix du Fonds Baillet-Latour 2017 pour mon étude de cas en Medecine translationnelle Fight against malaria : lessons from the past and new perspectives.
Aujourd’hui, je travaille dans le service public en tant que data scientist pour les données liées à la mobilité pour le gouvernement bruxellois. Je reste attentif à ne pas oublier mes erreurs et à faire de mon mieux pour, si pas un monde meilleur, au moins faire en sorte qu'il ne soit pas pire.
Après toutes ces années, j'ai aussi enfin pu être diagnostiqué comme sévèrement atteint d'autisme. Saviez-vous qu'en tant qu'adulte en Belgique francophone, le temps d'attente moyen pour solliciter un diagnostic de l'autisme était de 16 ans ? Au-delà de simplement pouvoir mettre un nom sur le fait d’être neuro-atypique, cela m'a permis de mieux comprendre comment je fonctionne, comment anticiper les situations qui sont stressantes et aussi éviter divers malentendus et conflits au travail.
- Quels sont les conseils que vous donneriez à de jeunes diplômés ?
Connaissez vos limites pour réaliser votre plein potentiel. Certaines de ces limites sont parfois uniquement de fausses croyances que vous vous êtes imposées sans le savoir.
Vous êtes libre de travailler au mieux de vos connaissances, capacités et convictions.
Si jamais vous êtes confronté au désespoir, rappelez-vous votre première année à l'université. Tout le monde entre à l'université dans un monde nouveau avec plein de rêves, dont celui de changer le monde ou de le sauver. Il est tout à fait acceptable de simplement sauver juste une personne, et il est tout aussi acceptable que cette personne soit vous-même.
Il n'y a aucune honte à solliciter de l'aide quand vous en avez besoin, au contraire, les plus grandes merveilles et réussites de l'humanité ont toujours été accomplies en groupe et surpassent de loin tout ce que pourrait faire un individu seul.
Ayez le courage de vous pardonner vos erreurs. Vous êtes la personne avec qui vous passerez le plus de temps, et à long terme, cela aidera à être en paix avec vous-même.